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[Jean Faure du Serre]

Le banc des officiers,
Poëme héroï-comique en six chants.

Description de l'exemplaire  (Voir : Notes sur la description des ouvrages)

Gap, J. Allier, Imprimeur, 1825
In-8° (191r x 125r mm), [6]-VII-101 pp. (la pagination en chiffres arabes continue la pagination en chiffres romains).
Le banc des officiers, Jean Faure du Serre : titre Le banc des officiers, Jean Faure du Serre : reliure
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Notes sur l'exemplaire

Demi veau bleu nuit à coins, dos lisse orné de filets et de fleurons dorés, tranches marbrées.
Ex-libris au premier contre-plat et envoi en anglais sur le faux titre (voir ci-dessous).

Notes sur l'ouvrage

Poème relatant la querelle entre le maire et le curé de la Motte-en-Champsaur (Hautes-Alpes) à propos du banc des officiers dans l'église du village en 1809. Cette deuxième édition est la plus complète.

Composition de l'ouvrage :
- Faux titre et titre (4 pp. non chiffrées)
- Dédicace : A Monsieur le Comte Alexis de Noailles, Aide-de-Camp du Roi, Ministre d'Etat, Membre de la chambre des Députés (2 pp. non chiffrées). Dédicace en vers à son protecteur.
- Préface (pp. I-VVI). Courte présentation du poème, où il se justifie des modifications apportées depuis la première édition. A la fin, il se défend d'éventuelles "inductions contraires au respect dû à la religion."
- Poème (pp. 9-101), divisé en 6 chants, chaque chant débute par une page contenant le numéro de chant au recto et un sommaire au verso.

Le Banc des Officiers

Comme dit au début, le sujet du poème est le conflit entre le maire et le curé de la Motte à propos du banc des officiers (ou de la municipalité) dans l'église du village en 1809, conflit qui s'est étendu à tout le village. Tout débute par l'installation par le maire d'un banc à l'emplacement du confessionnal. D'échanges de courriers en demandes d'arbitrage par le préfet,  l'affaire s'envenime jusqu'à ce que dans la nuit du 3 au 4 octobre 1809, des inconnus détruisent le banc et le jettent dans un canal proche de l'église. Le maire s'empresse d'en faire installer un nouveau, ce qui provoque une nouvelle plainte du curé. L'histoire ne dit pas comment cela s'est terminé, mais le poème laisse entendre que la demande du préfet de mettre le banc à la place consacrée a été honorée.

Dans l'édition de 1858 des poèmes de Jean Faure (Œuvres choisies), la nouvelle version du poème est publiée avec quelques lettres qui permettent d'établir l'historique de cette affaire. Deux autres lettres ont été publiées par l'abbé Paul Guillaume en 1908 dans les Annales des Alpes (pp. 192-195);

Il ressort de ces différents échanges, en particulier de la lettre de l'évêque de Digne (dont dépendait alors la Motte-en-Champsaur), qu'il y avait un conflit entre le maire et le curé. Cela concernait une autorisation d'inhumation, mais aussi l'appropriation de l'église par le maire, par exemple en faisant inscrire son nom au-dessus de la porte. De même, il fait installer le banc du maire et de son conseil municipal sans tenir compte de l'avis du desservant, ni sans suivre la coutume qui voulait que les officiers siègent dans le chœur et non dans le corps de l'église. Comble de provocation, le banc est installé dans le côté des femmes. Cette phrase du curé semble résumer le fond du conflit : « Le peuple [est] fatigué de voir cette famille privilégiée dans l'église ». Ce que laisse entendre le poème est que la destruction du banc est l'œuvre de paroissiennes plus ou moins directement inspirées par la curé lui-même.

Le sujet a dû sembler suffisamment plaisant à Jean Faure pour qu'il en fasse un poème, d'abord en 5 chants, parus en 1810, puis en 6 chants, parus en 1825.

Le début du premier chant donne le résumé de l'affaire et permet de découvrir le style de l'auteur :

Je chante d'un hameau le redoutable Maire,
Qui profana l'Église et, d'un bras téméraire,
Dans un coin relégua le Confessionnal,
Pour placer en son lieu le Banc municipal.
Vainement le Curé, frémissant de surprise,
Tenta de résister à l'horrible entreprise;
Et, dans son intérêt mettant les cœurs pieux ,
Fit briser dans la nuit le Banc audacieux;
Le magistrat ardent à venger cette injure,
En fit faire un second d'une essence plus dure;
Et pour le préserver d'un attentat nouveau,
Il l'orna d'une plaque empreinte de son sceau.

Muse, dont le burin confie à la mémoire
Tous les faits des mortels, et leur honte et leur gloire,
Raconte quel génie envoyé des enfers,
Rendit les deux partis également pervers,
Entraîna dans l'erreur les têtes les plus sages,
Confondit tous les droits, brouilla tant de ménages,
Et, répandant au loin la haine et la fureur ,
D'un lieu, jadis heureux, fit un lieu plein d'horreur.

Cette première version du poème contient la scène d'une dispute conjugale, provoquée par la jalousie, qui se termine par un querelle violente entre les époux. Le mari ayant été blessé, donc battu, un charivari est organisé. Il consiste à faire un tintamarre devant le domicile des époux et à promener le mari sur un âne, assis en regardant le cul de l'âne et tenant sa queue. A défaut du mari, c'est un voisin qui supplée. Cet événement fait entièrement l'objet du chant quatrième. C'est ce chant qui ne devait pas se trouver dans la version originale de 1810 et qui, selon la préface, a été écrit par Jean Faure pendant les Cent-Jours (1815) : « C'est pendant les cent jours que je me souviens d'avoir composé le quatrième chant du Banc des Officiers, lorsque j'errais sur nos montagnes, souvent sans autre gîte que celui des bergers. Et que faire en un gîte à moins que l'on ne songe ? Je songeais donc à faire des vers et me riais de ma misère. » (p. IV) Le charivari, ainsi que tous les épisodes romanesques qui le précédent et le provoquent ont totalement disparu de la version de 1858.

Le chant 6 contient le description d'un vogue à La Motte, c'est à dire, en langage de la région, de la fête patronale. En pleine affaire du banc, elle se termine par une rixe entre les deux partis du villages. Comme le dit Jean Faure (p. 93) : « Les fêtes patronales des villages du Champsaur sont célèbres dans les Hautes-Alpes, par l'affluence des personnes qui s'y rassemblent, et par les rixes sanglantes qu'elles amènent trop souvent. En traçant le tableau des combats de la Motte, l'auteur n'a fait que décrire ce qu'il a vu plusieurs fois en d'autres lieux. » Ce thème sera lui aussi totalement supprimé dans la version de 1858, mais le sujet fera alors l'objet d'un poème spécifique Les Vogues du Champsaur.

Les 2 épisodes du charivari, avec les événements qui l'on précédé et provoqué, et de la bataille lors de la vogue ont été supprimés dans l'édition de 1858. Les 6 chants ont été réduits à 4, en gardant la trame général, mais en renvoyant profondément le style du poème. Il devient plus littéraire, plus choisi, avec quelques images plus recherchées. Le poème y perd une certaine fraîcheur, voire une certaine gaillardise, au profit d'un ton plus conventionnel. De plus, les portraits du maire et du prêtre évoluent. L'image du maire devient plus dure, plus arrogante, voire plus violente, alors que la figure du prêtre s'approche plus de celle du bon prêtre de l'époque, à la différence du personnage plus truculent de la version de 1825. Par exemple, cette strophe qui montre un prêtre un peu viveur a disparu (p. 15) :
« Là, brille du Curé la radieuse tête ;
Assis avec honneur dans un large fauteuil,
Souvent vers la cuisine il tourne son coup d'œil
Déjà même en entrant, gracieux parasite,
Il a flairé les plats, la broche et la marmite.
Chaque mets qu'on apporte excite son désir;
Et sa bouche vermeille en frémit de plaisir. »

Autre exemple, on y trouve plus ce type d'images :
« Le Curé, doux béat, dans ses draps bien inclus » (p. 32)
mais plutôt ce style-là :
« Son lit était dressé. C'est là que le saint homme
dans cet après-midi, dormait d'un léger somme »

Cette évolution du poème reflète probablement aussi l'évolution personnelle de l'auteur. Après avoir adhéré aux idées de la Révolution, Jean Faure évolue peu à peu, sous l'Empire, vers le légitimisme, faisant du Roi et de la religion les deux piliers de sa pensée politique. On comprend que dans cette ordre d'idée, il fasse évoluer l'image du maire, image du notable libéral et voltairien, et la figure du prêtre, qui devient le garant moral de l'ordre dans la société.

Les protagonistes :

Le maire de La Motte : Jean Alexandre Lagier. Il est né à La Motte-en-Champsaur le 22 février 1764, fils d'Alexandre Lagier, notaire, et Marie Vieux. Il est mort à Lyon 16 août 1828,"en la maison tenue par les frères de Saint-Jean-de-Dieu à la Guillotière". Il s'est marié avec Magdeleine Grimaud (1779-1805), dont il a eu 2 enfants survivants. Notaire à La Motte-en-Champsaur, comme successeur de son père, il a été maire de La Motte de 1802 à 1815, puis de 1820 à 1825. Il appartenait à la famille la plus notable de La Motte-en-Champsaur. Ancienne famille protestante, qui devrait sa fortune à Lesdiguières, elle était parfois appelée Lagier de La Valette. En 1836, lors de l'établissement du cadastre, elle était parmi les plus gros propriétaires fonciers du village et possédait en particulier 3 maisons. Selon les Lettres d'Eraste à Eugène ou Annuaire du département des Hautes-Alpes pour 1808 (pp. 134-135) : "Le S.r Lagier, notaire, à La Motte; et son frère, sergent au 4e régiment d'infanterie légère, apprenant que les frères Valentin, souillés de plusieurs crimes, portaient la terreur dans le canton de Saint-Bonnet, se mirent seuls à leur poursuite, les saisirent de vive force et les conduisirent à la première brigade de gendarmerie. Le premier a été nommé maire de sa commune, le second a obtenu de l'avancement à l'armée". Lors du mariage de Joseph Escalle et Rose Gauthier, au Noyer, le 25 Nivôse An II (14/1/1794), il signe « Lagier fils sans culotte ».

Le curé de La Motte : Jean Thouard. Il est né aux Orres le 12 février 1747 (sous le nom de Jean Thoard). Il est mort à La Motte-en-Champsaur le 9 septembre 1824. Il est diacre de l'église métropolitaine d'Embrun en 1790, vicaire des Crottes en 1791. Au moment de la Révolution, il est élu curé de St-Étienne-d'Avançon le 21 novembre 1792, par 33 voix sur 45 votants, puis vicaire au Laus le 3 septembre 1793. Au moment de la Terreur, il se retire à Espinasses. Il est nommé curé de La Motte-en-Champsaur le 27 avril 1803, où il reste jusqu'à son décès en septembre 1824.

Editions

La première édition du poème est :
Le Banc des Officiers, poême en cinq chants par M. J. Faure, de Chabottes
S.l., 1810, in-16°, 70 pp. (BMG : V.20860)

Il existe un prospectus de cette édition de 1825 :
Prospectus. Le Banc des officiers, poème héroï-comique en six chants, par [J.] F [aure]
[A Gap],  s. n. n. d., in-8° (20 cm), 2 ff.
BMG : V.23894(3)

Le poème a ensuite été repris dans les Œuvres choisies, Gap, Delaplace, 1858. Dans cette nouvelle édition, il paraît "sous une forme toute nouvelle" (p. VI) et "débarrassé d'une foule d'épisodes" (p. 3). Comme évoqué ci-dessus, il ne contient plus que 4 chants et 2 épisodes importants ont été supprimés. Il est précédé de quatre lettres échangées par le maire et le curé avec le préfet à propos de cette affaire.

Enfin, la dernière publication se trouve dans une autre édition des Œuvres choisies, par l'abbé Gaillaud, Gap, Richaud, 1892. C'est, semble-t-il, la version de 1858, "qui a subi quelques corrections" (p. 39). L'édition de 1892 a été très sévèrement critiquée par l'abbé Allemand dans un article paru dans le Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, 1895, pp. 355-364. Il lui reproche d'avoir "dénaturé notablement les textes du poète". Entre autres, l'auteur compare les versions de 1858 et 1892 du poèmes Le Banc des Officiers (pp. 358-359).

Traduction

Dans le Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, 1883, Paul Guillaume a donné un extrait de la traduction de ce poème (sur la base de l'édition de 1825), par J.-A. Gaillaud, percepteur des contributions directes à Saint-Bonnet de 1815 à 1830, sous le titre Le dialecte du Champsaur en 1828 (pp. 383-385). Pour la première strophe, cela donne :

Lou Banc des oufficiers

Eyssayou de chantar, din moun simple jargou,
L'outeroux magistrat d'un marri villageou
Que venguec à la gleisa et prenguec la marrota
De tapar à l'escur, sous un viou troï de crota,
Lou tribunaou de Diou, lou san confessiounaou,
Per betar à sa plaça un banc municipaou.
Lou preyre qu'era aqui restec mus de surpresa;
Et sen pouere arrestar una tala entrepresa,
Sourteq, en tremoulant, et tout ébasourdi,
Anec charchar quaoucu que prengués soun parti,
Assemblec leis dévots, lour countec sa misera,
Plourec, treissec ses pious per leis betre en coulèra.
Aquestei gents furious partèroun à mienuets,
Fourreroun en mourcéous lou banc à meita cuets.
Lou Maire, outra d'aquo, vouguec vengear l'enjura;
N'en fec far un nouveou, de besougna plus dura,
Et, per qu'aguessiou plus envia de l'espessar,
Eschoufec soun cachet, et lou venguec marquar.

Jacques-Antoine Gaillaud (1789-1855) était le beau-frère de Jean Faure et le père d'Eucher Gaillaud, qui donna l'édition de 1892.

Provenance

L'ouvrage contient deux marques de provenance. La première est un ex-libris au premier contre-plat :

Ex-libris (H : 103 mm x L : 80 mm.)
Le banc des officiers : ex-libris

C'est l'ex-libris de Lord Hamilton Francis Chichester. Il est né le 9 mars 1810, fils de Sir George Augustus Chichester, 2nd Marquess of Donegall et d'Anna May. Il a épousé le 7 décembre 1837 Honoria Anastatia Blake, fille du Colonel Henry James Blake et de Anne French. Il est mort le 1er janvier 1854.

L'ouvrage contient un envoi sur le faux titre :

Le banc des officiers, Jean Faure du Serre To Miss Blake
from J H Frere who says that this poem is first heard with at Marseilles in 1825 and which he has never heard mention since, is one the prettiest thing in the french language.
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Que l'on peut traduire ainsi ;
"A Miss Blake, de J H Frere qui précise que ce poème qu'il a entendu pour la première fois à Marseille en 1825 et dont il n'a jamais entendu parler depuis, est une des plus jolies choses en langue française."

La dédicataire est Honoria Anastatia Blake, née le 24 juin 1800 et mariée à Lord Hamilton Francis Chichester. Elle est morte le 7 février 1878.

L'envoi est de John Hookham Frere (1769-1846), un diplomate et écrivain anglais, qui s'installa à Malte en 1821, jusqu'à son décès. Il sera rejoint pendant quelques temps, à partir de 1825, par sa nièce, Honoria Anastatia Blake, qui hérita de la maison de Malte. N'ayant pas eu d'enfant, il la considérait comme sa fille. Nous savons aussi qu'en 1825, il fit un voyage en Angleterre. C'est probablement à ce moment-là, passant par Marseille pour rejoindre Malte, qu'il a découvert ce poème que rien, sinon le hasard, ne pouvait lui faire découvrir.

Références  (Voir : Liste des sources et références)

Notice biographique de Jean Faure du Serre
Notice biographique (en anglais) de John Hookham Frere

BSEHA, 1883, pp. 383-385 : Le dialecte du Champsaur en 1828, Paul Guillaume
Rochas : I, p. 378 (V)
Maignien (Anonyme) : 320
Maignien (Catalogue) : 16021
Guillemin : 2950
Revue du Daupiné, VI, p. 61
BNF : YE-21937