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Jean Lapaume

Biographie de Jean Lapaume

Jean Lapaume est né à Langres, fils de François Lapaume et Libère Juré. François Lapaume s'était engagé dans le 2e bataillon des volontaires de l'Aube, en 1792, à l'âge de seize ans. Il est ensuite passé au 12e régiment de chasseurs à cheval. Il a été blessé deux fois, la première d'un biscaïen, à Marengo, et la seconde d'un boulet de canon qui lui emporta le bras gauche, à la bataille d'Iéna (son fils signera parfois ses œuvres : « Le fils d'un manchot d'Iéna») Il a été admis à la retraite en 1807 et s'est retiré à Langres. Libère Juré a été choisie comme rosière par la ville de Langres, parmi les jeune fille à marier, pour commémorer le couronnement de l'Empereur. Fille d'un boucher, elle était d'extraction modeste. Elle ne savait pas écrire. Le mariage a eu lieu à Langres le 6 décembre 1812. Jean Lapaume est né le 4 septembre 1813, mais son père avait déjà quitté le foyer conjugal depuis 3 mois. François Lapaume, que son fils n'a rencontré qu'une fois, a été reçu aux Invalide de Paris, où il est mort le 9 mai 1835. Jean Lapaume a été élevé par sa mère, dans une atmosphère très religieuse.

Après avoir été élève des Frères de l'école chrétienne, Jean Lapaume entre au collège de Langres, comme boursier de la ville. Il y fait toute sa scolarité, jusqu'au baccalauréat-ès-lettres, qu'il obtient en 1832. Il s'engage alors dans une carrière de professeur. Il débute au collège de Mâcon comme maître d'études et régent de la classe élémentaire. Jusqu'à sa nomination à Versailles en 1851, il est passé par de très nombreux collèges : Vassy (1833-1834), Cluny (1834-1836), Bar-le-Duc (1836), Charleville (1836-1838), Bar-le-Duc (1838), Remiremont (1839), où, pour la première fois, il devient professeur de seconde, Saint-Jean d'Angély (1840), où il rencontre sa future épouse, Châtellerault (1841-1842), où il devient professeur de la classe de rhétorique, Romans (1842), Roanne, pour quelques jours en 1843, Nevers (1843-1844), Ajaccio (1844), où il refuse d'aller et demande un congé d'un an, Paris, comme maître d'études supplémentaires au collège Louis-le-Grand (1844), Joigny (1845), où il enseigne aussi l'italien et l'anglais, Troyes (1846-1851), comme professeur de lettres et grammaire en seconde au collège de la ville. Entre temps, il passe ses grades universitaires : licencié-ès-lettres (1835), puis docteur-ès-lettre (1850) devant la Faculté des lettres de Dijon.

Ces très nombreuses mutations sont le reflet de difficultés récurrentes rencontrées dans de nombreux postes. Selon ce qu'il en rapporte dans son autobiographie, il semble souvent qu'il s'agisse de conflits d'ordre politique et religieux. Sa mise en avant d'une religiosité catholique marquée, voire militante, semble l'avoir mis en difficulté auprès des autorités. C'est le cas à Nevers, ce qui explique son envoi à Ajaccio en « disgrâce ». De même, à Troyes, où un conflit politique avec un commissaire du gouvernement le fait envoyer à Blois. Il obtient de rester jusqu'au vacances, jusqu'à ce qu'il obtienne d'être nommé en octobre 1851 comme professeur en classe de rhétorique supplémentaire au collège de Versailles. Dans ces différents conflits, il y a probablement une composante liée à sa personnalité, mais cela n'apparaît qu'en filigrane.

Dans cette classe de rhétorique supplémentaire de Versailles, Jean Lapaume a des difficultés : « Cette malheureuse classe est un foyer permanent de désordre, un sujet d'affliction et de scandale pour les familles. Incapable de maîtriser ses élèves, le professeur [Jean Lapaume] est le plus souvent obligé de faire intervenir le censeur. ». En octobre 1852, cette classe de  rhétorique supplémentaire est supprimée et Jean Lapaume est nommé au collège de Chalons-sur-Marne. Il demande alors un congé qui sera renouvelé plusieurs fois. En 1857, il s'interroge :
« En 1832, trois adolescents étaient assis côte-à- côte, dans la même classe, sur les bancs du collège de la petite ville de Langres : Guillemin, Lapaume et Pierron.
Les deux premiers sont aujourd'hui docteurs ès-lettres, et le troisième le sera quand il voudra.
Guillemin est recteur de l'Académie de Douai et Pierron professeur au lycée Saint-Louis, de Paris, tandis que Lapaume, qui jusqu'ici est parvenu à n'être rien, demeure en état de disponibilité à Versailles depuis plus de quatre ans.
Pourtant J. L. n'a manqué ni de chefs qui l'aient bien noté, ni de protecteurs puissants, ni même d'amis courageux et fidèles.
Où donc est l'influence occulte qui persiste à tout paralyser ? »

Il reste ainsi à Versailles jusqu'à son départ pour Rennes comme professeur de seconde au lycée impérial en 1858. Enfin, en septembre 1862, Jean Lapaume est chargé du cours de littérature étrangère à la Faculté des lettres de Grenoble. Il y restera jusqu'à sa mise à la retraite en octobre 1869, étant alors « hors d'état de continuer ses fonctions » sans que l'on en sache plus. Il s'installe alors à Paris en 1870. On le retrouve ensuite dans sa ville natale à partir de 1874. Il est décédé à Langres le 20 décembre 1881, dans son domicile de la rue du Petite-Cloître, à l'âge de 68 ans.

De son mariage à Paris en 1842 avec Laure Poitevin (1823-1906), originaire de Saint-Jean d'Angély, il a eu de nombreux enfants (nous en avons trouvé 11), dont l'aîné, Raphaël, a longtemps été professeur de grammaire au Lycée de Melun.

Jean Lapaume, écrivain

Jean Lapaume a laissé une œuvre écrite très importante. Il débute par des articles dès 1835, mais, de son aveu même, c'est à Charleville qu'il commence vraiment à écrire : « Pendant son séjour à Charleville, J. L. s'était essayé à diverses compositions littéraires, tant en prose qu'en vers. ». Il publie son premier ouvrage en 1841 à Remiremont, dans les Vosges : « J. L. y avait composé et publié Il Manuale cattolico ou Le Manuel catholique, en italien et en français, à l'usage des collèges, séminaires et institutions des deux sexes. Ce livre [est] le premier-né de l'auteur ». A partir de ce moment-là, il ne cessera d'écrire. Il n'existe pas de bibliographie de ses ouvrages, d'autant plus qu'il en a publié certains anonymement (Le Manuel catholique est simplement signé J. L.), et d'autres sous des pseudonymes comme Palma. En plus des ouvrages publiés, il a commis une foule d'articles dispersés dans de nombreuses revues de sociétés savantes. Pour sa seule activité à Grenoble, nous en ferons le détail ci-dessous. Il avait pour habitude de se faire recevoir par de nombreuses sociétés savantes, celles des villes où il résidait temporairement, mais pas seulement. Il leur soumettait alors de nombreuses communications. Il a aussi été un contributeur actif de L'Intermédiaire des chercheurs et curieux.

Hormis quelques œuvres de la fin de sa vie, ses ouvrages sont des études de philologie historique. Dans chacune des villes où il réside suffisamment longtemps, il s'intéresse à l'histoire locale. Par exemple, à Troyes, il publie en 1850 : Diverses Inscriptions grecques trouvées à Troyes et autres lieux voisins, suivi l'année suivante par Antiquités troyennes jusqu'ici négligées ou méconnues. Inscriptions latines faisant suite à nos inscriptions grecques.

Au même moment, il fait paraître les deux volumes de ses thèses de doctorat, respectivement en latin et en français : De Euripidis vita et fabulis, Paris, Firmin Didot, 1849 et De l'Authenticité des Poèmes d'Homère, Troyes, Anner-André, 1849.

La grande œuvre de sa vie est le fruit de son travail lors de son séjour à Versailles, où il met à profit ses années de congé. C'est, en 3 volumes : La philologie appliquée à l'histoire, autrement origine et valeur des six noms Versailles et Trianon, Paris, Louvre, Tuileries et Louis-Napoléon, par J. Lapaume, Docteur-ès-lettres, Professeur de Rhéhorique supplémentaire au Lycée de Versaille. L'avant-propos du premier volume est daté du 9 février 1852. Celui du deuxième volume, qui concerne plus particulièrement Louis-Napoléon, est daté de Versailles, 15 juin 1854. Enfin, l'avant-propos du troisième volume est daté de Versailles, le 26 septembre 1855. Jean Lapaume y annonce que la Philologie a été commencé en janvier 1852 et « ne doit pas être publié avant le mois d'août 1856 ». Ce dernier volume concerne aussi Louis-Napoléon. Il contient un récit très circonstancié de sa vie (pp. 348-463), qui nous a servi en partie de base pour cette notice. Il s'agit surtout d'un plaidoyer pro domo pour appeler l'attention sur sa situation après 4 ans de congé plus ou moins forcé à Versailles. Il annonce ainsi le grand projet de sa vie, qui ne verra pas le jour : « J. L. s'applique tous les jours, en vue d'un travail qui sera l'œuvre de sa vie entière, les Origines Européennes et manifestes de tous les mots de la langue française, à comparer, à approfondir le grec moderne, l'italien, l'espagnol, l'allemand et l'anglais, avec cette différence qu'en fait de langues et de littératures, il aime mieux celles du midi que celles du nord. »

Parmi la multitude de sujets sur laquelle il s'est exprimé, nous pouvons citer l'épitaphe du tombeau de Montaigne à Bordeaux, L'Hermine et la Bretagne, l'importance du grec et du latin pour l'étude, Dante et la Divine comédie, les  usages de la vie commune chez les anciens, le Président Barnabé Brisson, les dangers d'une méthode uniforme dans l'enseignement des langues, la parure au temps jadis, la signification du plus ancien nom de la Savoie, la prononciation grecque, les inscriptions latines de Richelieu à la Sorbonne et l'inscription grecque de Beaucaire, le prieuré de Joigny et Jeanne d'Arc, etc.

Après son installation à Langres, il ne publie plus que des petits textes à usage privé, voire familial, comme un Épître à Mme Rojnitza, née Lapaume, ou A J. Carbo, pour le jour de sa fête, bouquet d'un sien neveu. Son dernier texte publié, un an avant sa mort, est une petite plaquette de 3 pages : Le Livre de bord, autrement la Traversée de la vie.

Pour être complet, signalons qu'en 1853 et 1854, Jean Lapaume a été rédacteur en chef de L’Émulation, un journal pour la jeunesse fondé à Versailles. Il y publie « l'esquisse d'un cours de littérature composé dans son entier, exemples et préceptes, en vue des classiques désignés pour le baccalauréat, la licence et l'agrégation. ».

Jean Lapaume en Dauphiné

Alors professeur de seconde au Lycée de Rennes, Jean Lapaume est désigné le 29 septembre 1862 pour prendre en charge le cours de littérature étrangère à la Faculté des lettres de Grenoble. Comme il le dit lui-même : « Quand en 1862, sur la fin d'octobre, j'arrivai de Rennes à Grenoble, mon premier souci fut de m'informer si ma nouvelle résidence offrait des ressources pour des études philologiques. »

Grâce aux annonces dans L'Impartial Dauphinois, nous savons que, lors du semestre qui débute en avril 1863, il professe un cours sur « la poésie italienne: le mardi, dans sa double origine tant provençale que sicilienne ; le jeudi, dans Pétrarque, Boccace et l'Arioste. ». En novembre 1863, il débute un cours sur « le théâtre espagnol à ses trois moments, dans les chefs-d’œuvre de Cervantès, de Lope de Vega et de Caldéron ». Lors du premier semestre de 1865, il s'intéresse alors au « théâtre anglais à sa période la plus brillante, dans les chefs-d'œuvre de Shakspeare (sic) ». Les années suivantes, il donne des cours sur les littératures italienne, portugaise, etc.

A son arrivée à Grenoble, il habite 3 rue Vaucanson. Rapidement, dès 1864, il emménage avec sa femme et ses 9 enfants au n° 11 de la rue Saint-Vincent-de-Paul (actuellement rue Voltaire). Il semble y avoir vécu jusqu'à son départ. Il est mis à la retraite en octobre 1869, car il est alors « hors d'état de continuer ses fonctions », mais semble avoir déjà quitté Grenoble à cette date. En effet, en mai 1869, il n'est déjà plus inscrit sur les listes électorales de Grenoble et l'Académie delphinale ne le compte plus dans ses rangs en cette même année. Sa démission pour changement de domicile est annoncée lors de la séance du 15 janvier 1869. Il a donc passé à peu près 6 ans à Grenoble, de fin 1862 à fin 1868.

Pourtant, pendant ces 6 années, il aura été particulièrement actif.

Jean Lapaume, écrivain en Dauphiné

La première manifestation littéraire de Jean Lapaume à Grenoble est le discours d'ouverture qu'il prononce à la Faculté des lettres de Grenoble, le 27 novembre 1862. Il vient d'arriver dans cette nouvelle affectation, pour cette rentrée universitaire. Il traite de Dante et la Divine comédie. Le texte est immédiatement publié par le libraire Prudhomme en une plaquette de 45 pages.

Comme il l'a fait dans les autres villes où il a été professeur, il s'empresse de vouloir adhérer aux sociétés savantes locales. C'est ainsi qu'il est reçu à Société de statistique, des sciences naturelles et des arts industriels du département de l'Isère, lors de la séance du 22 mai 1865, présenté par Alexandre Charvet et Charles Lory. Devant cette société, il prononce trois communications, mais un seul texte est publié dans le bulletin :
- Mémoire sur Lesdiguières et sur la statue d'Hercule qui est dans le bois du Jardin de Ville, lu lors de la séance du 8 janvier 1866, qu'il lisait dans le même temps devant l'Académie delphinale.
- Mémoire sur la symbolique chez les anciens, lu lors de la séance du 14 mars 1867.
- Deux mots sur l'épigraphie du jour, autrement, Sur l'inscription latine de Richelieu à la Sorbonne et l'inscription grecque à Beaucaire, lu lors de la séance du 27 mai 1867 et publié dans le Bulletin de 1867 : Un mot de plus sur l'épigraphie du Jour. Inscriptions latines de Richelieu à la Sorbonne. Inscription de Beaucaire (pp. 118-142), signé en fin : « J. Lapaume (Palma) ».

Pour lui, la grande affaire sera de se faire admettre à l'Académie delphinale. Il est proposé pour la première fois lors de la séance du 3 juillet 1863, présenté entre autres par Maignien, le doyen de la Faculté. Suite à des difficultés qui ne semblent pas toutes liées au candidat lui-même, il ne sera admis que lors de la séance du 27 janvier 1865, en remplacement de M. Jalabert, nommé doyen de la Faculté de droit de Nancy. Dès la séance suivante, le 10 février 1865, il lit son discours de réception : Dangers d'une méthode uniforme dans l'enseignement des langues. Vu la longueur de sa communication, travers qui lui semble habituel, il termine la lecture le 24 février suivant. Le texte est publié dans le Bulletin de 1865, pp. 211-267. Il s'agit de la critique d'une grammaire de M. Sommer.

Les différentes lectures qu'il a faites devant l'Académie sont :
- Mémoire sur divers usages de la vie commune chez les anciens (séances des 21 juillet et 24 novembre 1865), publié dans le Bulletin de 1865, pp. 311-338.
- Une énigme en bronze ou l'Hercule du Jardin-de-Ville de Grenoble (séances du 29 décembre 1865 et du 12 janvier 1866). J. Lapaume « soutient que l'Hercule en question est un groupe, que ce groupe réunit deux personnages, le torrent dévastateur de la contrée sous la forme d'un dragon, et Lesdiguières, avec les attributs d'Alcide, en un mot, Lesdiguières, vainqueur du Drac. »
- Mémoire historique et philologique sur la prononciation du vieux français (séance du 23 février 1866). Ce mémoire a aussi été lu au congrès des Sociétés savantes de la Sorbonne.
- Sur la parure au temps jadis (séance du 9 mars 1866). Comme le précédent, ce mémoire est destiné au congrès de la Sorbonne.
- Une page des Annales de la Grèce moderne (séance du 22 février 1867).
- Le Prieuré de Joigny et Jeanne d'Arc (séance du 29 mars 1867), mémoire destiné au congrès de la Sorbonne.
- Un mot de plus sur l'épigraphie du jour, — les inscriptions latines de Richelieu a la Sorbonne, — et l'inscription grecque de Beaucaire (séance du 7 juin 1867), mémoire qu'il avait déjà lu devant la  Société de statistique, des sciences naturelles et des arts industriels du département de l'Isère en mai.
- Examen d'un livre nouveau, ou Compte-rendu du dernier bulletin de la Société de statistique (séance du 3 juillet 1867) où Jean Lapaume « a cru devoir relever et réfuter divers points relatifs à un système d'orthographe appliqué à la géométrie, à une question de géographie, à une question d'histoire naturelle et à une épitaphe latine. »

A l'exception du premier, aucun de ces textes n'a été repris dans le bulletin. Pour les principaux d'entre eux, ils ont ensuite été publiés par le libraire Prudhomme.

Lors de la séance du 15 janvier 1869, il est donné avis de la démission de M. Lapaume, membre résidant, qui a changé de domicile, en conformité avec le règlement de l'Académie.

Il n'hésite jamais à intervenir, comme, lorsque, lors de la séance du 5 mai 1865, il répond à M. Vallier par quelques observations, en particulier sur le nom de Lesdiguières : « pour ce qui est du nom du dernier connétable de France, on compte, dit-il, jusqu'à trois manières de l'écrire l'une, érudite ou savante, l'autre, vulgaire et la troisième, héraldique. La façon savante est L'esdiguières, le-ès-Diguières, le seigneur ayant manoir dans (es en grec), les Diguières. La façon vulgaire est des Diguières, le château des Diguières. Enfin, la façon héraldique par laquelle la particule nobiliaire est isolée afin de ressortir d'autant, est de Lesdiguières dont le domaine, ou les Diguières, fut érigé par Louis XIII en duché-pairie. »

Il a plusieurs fois représenté l'Académie lors de congrès, que ce soit au congrès scientifique de France à Chambéry en 1863, où il présente Histoire et philologie. Origine et signification du plus ancien nom de la Savoie qui sera ensuite publié, ou lors des congrès des Sociétés savantes à la Sorbonne, où il présente des mémoires qui sont aussi lus devant l'Académie delphinale.

Enfin, pendant son séjour à Grenoble, il se penche sur le patois régional. Comme il le dit, lors de son arrivée à Grenoble, « mon premier souci fut de m'informer si ma nouvelle résidence offrait des ressources pour des études philologiques. Dès le premier jour, je mis la main sur les poésies patoises et j'en fis en quelque sorte ma province. » Il se lance dans la publication de textes en patois de Grenoble dans la  Bibliothèque Elzévirienne de la Romane du Midi. En définitive, seuls deux tomes, sur les quatre initialement prévus, ont paru en 1866, chez le libraire Prudhomme :
- Anthologie nouvelle autrement recueil complet des poésies patoises des bords de l'Isère. Tome 1, Théâtre de Jean Millet.
- Anthologie nouvelle autrement Recueil complet des poésies patoises des bords de l'Isère. Tome IVe et dernier, miscellanées, qui contient 25 textes du XVIe au XIXe siècles.
Il semble que ce soit le 4e tome qui a paru le premier. L'édition du premier volume n'a pas été menée à son terme, certains disent même qu'elle a été détruite. Les deux autres volumes n'ont jamais paru. Leur publication a donné lieu à un échange assez vif devant l'Académie delphinale entre Félix Crozet et Jean Lapaume (voir la notice du tome IV de cette Anthologie).

L'homme et l'écrivain

A part quelques éloges de circonstances, comme le billet de Saint-Beuve en réponse à son envoi du tome IV de l'Anthologie, l'article dithyrambique d'Ernest Dottain sur cette même Anthologie, dans le Journal des Débats, ou  les différentes lettres de soutien  qu'il rapporte lui-même dans son autobiographie, les jugements qui sont portés sur ses travaux, voire sur l'auteur lui-même, sont particulièrement critiques. A titre d'exemple, nous avons sélectionné ces quelques extraits :

« nous bornant à conseiller de ne pas accepter sans contrôle certains rapprochements littéraires indiqués par l'auteur, et qui sont ou fort contestables ou cherchés bien loin. », sur l'édition du roman d'Apollonuis de Tyr, article d'A. Chassang dans L'Athenæum français (1856).

« M. Lapaume reconnaît dans cette tapisserie les véritables armoiries de Grenoble, qui seraient trois marguerites, et non trois roses, comme le prétendent tous les héraldistes, et comme on peut les voir sur le sceau de cette antique cité. [...] Au milieu des hardiesses de ce jeu d'esprit, l'auteur a su encadrer un essai sur les origines de la fabrication des tapisseries. » à propos de son mémoire Le mot d'une énigme sur toile ou La tapisserie allégorique, lu devant le congrès des Sociétés savantes, à la Sorbonne, dont le compte-rendu est donné dans la Revue des sociétés savantes de la France et de l'étranger, 1863.

Autre exemple de jugement sur sa méthode dans le compte-rendu de son mémoire sur Le mot d'une énigme en bronze, ou le Groupe du Jardin de la Ville de Grenoble, lu lors du congrès de 1865 : « Sur ce thème, M. Lapaume a brodé toutes sortes de caprices philologiques et historiques avec une verve spirituelle que nous avons déjà eu l'occasion de louer, mais peut-être aussi avec une trop grande profusion de recherches qui souvent ne se rattachent au sujet que par d'ingénieux tours de force. »

Enfin, toujours dans la même revue, à propos du congrès de 1866 : « M. Lapaume, membre de l'Académie delphinale, professeur à la Faculté des lettres de Grenoble, a lu un Mémoire sur la parure au temps jadis. Le nom de Mémoire convient-il bien à ce discours, dans lequel l'auteur nous paraît s'être trop complu à montrer son esprit. Le mien est peut-être mal fait ; mais, si j'ai bien compris l'attitude de l'assemblée, il m'a semblé qu'elle aurait préféré voir le savant professeur se servir de son érudition pour nous apprendre quelque chose, à tous tant que nous sommes qui l'écoutions, que de l'entendre entasser concetti sur concetti. On n'analyse pas un feu d'artifice. Je me bornerai donc à redire à M. Lapaume ce que je me suis déjà permis de lui dire, à peu près dans les mêmes termes, à savoir qu'il faut encore plus d'esprit que n'en eut jamais Voltaire lui-même pour faire avec succès de l'érudition spirituelle à outrance. »

A propos de son admission à l'Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, les Actes de cette académie de l'année 1860 rapportent les débats qui ont eu lieu à ce sujet. Rappelons qu'en 1859, Jean Lapaume avait publié une étude sur l'épigraphe du tombeau de Montaigne. : « M. Delpit, qui connaît les travaux de M. Lapaume, […]  signale quelques étymologies qui lui paraissent excessivement bizarres et nullement logiques. Il accuse l'auteur d'une excentricité excessive, allant presque jusqu'à l'illogisme. Il cite quelques étymologies tout à fait inadmissibles. » « M. Dégranges, en s'associant aux critiques de ses collègues, fait encore un reproche à l'auteur de ce que, dans ses ouvrages, il se loue trop lui-même, et se sert des éloges qu'on lui a donnés comme d'une sorte de réclame. »

Les textes les plus sévères sont ceux parus après son décès dans L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, revue à laquelle il a beaucoup contribué.

Dans le numéro du 20 janvier 1882, son décès est annoncé :
« le 20 décembre, est décédé, à Langres. M. Jean Lapaume (J. Palma), ancien professeur à la Faculté des Lettres de Grenoble, qui était animé d'un grand zèle « intermédiairiste », mais nous a donné plus d'une fois (ainsi qu'à nos lecteurs) bien du fil à retordre ! Son écriture, quoique bonne en soi, était enchevêtrée de façon inextricable. Grand ami de notre ancien collabo, l'aimable et savant helléniste, feu Dubuer, il était lui-même fort instruit, mais d'une instruction compliquée et à idées excessives et bizarres, – comme on l'a pu voir, lorsqu'il est rentré naguère dans notre lice pour certaines longues réponses sur Diderot (soi-disant) et sur les Corsets (XIV, 422, 529). Il aurait aisément rempli nos numéros de sa prose, de ses répliques, dupliques et tripliques, farcies de grosses « pilules de grec et de latin ».
Il avait été l'objet d'une erreur singulière, et dont il paraissait ne s'être pas aperçu, mais qu'un correspondant (M. H. L.) nous rappelait récemment. On nous avait affirmé qu'il était décédé en 1870-71, et nous l'avions quelque part (nous ne savons plus où) enregistré comme mort. Grande fut donc notre surprise, lorsque tout à coup il ressuscita, le 2 mai dernier, en nous faisant un gros envoi, accompagné de cette lettre : « Un des ouvriers de la première heure reprend la pioche et vient de nouveau travailler au vignoble de l'Intermédiaire... » — Cette fois-ci, pas d'erreur, la lettre de faire part est là, notre pauvre collabo est allé se reposer dans un monde meilleur, après avoir bataillé ici-bas durant 69 années.
Requiescat in pace. »

En 1883, sur le même ton, ils reviennent sur ce « collabo » de la Revue :
« Il y a bien, il est vrai, quelques correspondants qui répandent plus de gaieté que de lumière véritable. L'un des plus extraordinaires, au début, a été un certain Palma, de son vrai nom Lapaume, qui se répandait en étymologies qui eussent fait pâlir l'intrépide Ménage : c'est ainsi qu'il imagina de faire dériver corset de courir, parce que le lacet qu'on défait se livre à une véritable course. Une ou deux fois on le crut mort ; il reparut après dix ans d'absence, s'écriant : Non, non, je ne suis pas mort ; j'avais cru que l'Intermédiaire était mort; je ne suis pas fâché de ressusciter pour vous dire que je suis de Langres, que je ne suis pas du tout fier d'être le compatriote de Diderot, et qu'il n'y a qu'un homme qui ait fait honneur à mon pays natal, c'est François Roger, membre de l'Académie français. Et la dissertation était copieuse, je vous en réponds. Connaissez-vous l'illustre François Roger ? Après ce prodigieux effort, Lapaume, dit Palma, se résigna à s'endormir définitivement dans la Paix du Seigneur.

En 1900, son souvenir est encore vivace. On se rappelait « une intervention du notable hurluberlu qui signait J. Palma et qui avait nom Lapaume. »

Jean Lapaume n'est cité qu'incidemment dans Les Fous littéraires, d'André Blavier, dans une note du chapitre Myth(etym)ologie (p. 265). Par certains aspects, il aurait mérité d'appartenir à ce dictionnaire, même si sa folie reste tout de même sous contrôle.

Signature en 1853
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Signature en 1871
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Ouvrages de cet auteur sur ce site

Anthologie nouvelle autrement Recueil complet des poésies patoises des bords de l'Isère. Tome IVe et dernier,miscellanées.
Recueil de poésies en patois du Dauphiné
, édition de 1878

Sources  (Voir : Liste des sources et références)

Généalogie de Jean Lapaume : cliquez-ici.
Bibliographie sur le site de la BNF (data.bnf.fr) : cliquez-ici.
Lien vers l'autobiographie de Jean Lapaume, incluse dans le tome III de La philologie appliquée à l'histoire (pp. 348-463) : cliquez-ici.

Autres sources :
Etat civil de Langres, Paris, Versailles, Troyes, Rennes et Grenoble. Recensements et listes électorales de Grenoble.
Dossier de la Légion d'honneur de François Labaume.
Bulletins de la Société de statistique, des sciences naturelles et des arts industriels du département de l'Isère (Gallica)
Bulletins de l'Académie delphinale (Gallica).